LES AMAZONES

 

Un inceste fondateur
Lysippe était une belle jeune femme qui avait fui le domicile conjugal avec ses enfants - 7 filles et 1 garçon nommé Tanaïs - pour assouvir son goût pour la guerre et consommer sa passion pour le bouillonnant Arès. Mais la jalouse Aphrodite, réprouvant l'infidélité de son amant ainsi que l'attitude guerrière de la jeune femme, fait concevoir une passion incestueuse au jeune Tanaïs pour sa mère. Désespéré et écœuré par cette attirance qu'il ne peut réfréner, Tanaïs n'a d'autre choix que de se suicider en se jetant dans le fleuve qui porte désormais son nom.
Pour échapper aux reproches incessants du spectre de son fils, Lysippe part s'installer sur les rives du Pont-Euxin (1), à l'embouchure du fleuve Thermodon, où elle fonde avec ses filles la cité légendaire de Thémoscyre, uniquement destinée aux femmes. Mais alors que l'on pourrait imaginer qu'un univers exclusivement féminin soit empreint de douceur et de grâce, celles qui se feront appeler Amazones (2) vont se consacrer sans pitié au carnage et aux conquêtes militaires.

 

Une société gynécocratique (3)
Une fois par an, les Amazones, conscientes de la nécessité de perpétuer leur race fière et conquérante, vont s'unir avec leurs voisins Gargaréens. Les malheureux enfants mâles qui naissent de ces accouplements bestiaux auront les membres brisés et les yeux crevés à leur naissance afin de les rendre inaptes au combat et de pouvoir les reléguer aux tâches domestiques subalternes, à moins qu'on ne les tue impitoyablement, sans autre forme de procès.
Dans la société amazonienne, la guerre est la seule activité par laquelle la femme peut être pleinement reconnue. Les Amazones se consacreront ainsi au pillage et à la furie destructrice, allant jusqu'à se mutiler volontairement d'un sein afin de faciliter le maniement de leurs arcs, cette arme typiquement asiatique qu'affectionne leur déesse protectrice : Artémis. On les dépeint comme des cavalières émérites, arborant un bonnet phrygien, couvertes de peaux de bêtes, brandissant le bouclier en forme de croissant de lune des peuples barbares. Certaines versions vont jusqu'à affirmer qu'elles se nourrissaient exclusivement de la chair crue de leurs ennemis !

 

Les plus grand héros s'y frottent !
Et des ennemis, les Amazones n'en manquent pas ! Inquiétantes, menaçantes pour la stabilité des sociétés grecques, elles inspiraient la méfiance et ont vu bon nombre d'expéditions punitives s'établirent contre elles :
- Sur ordre du roi de Lycie (Iobatès), Bellérophon les combat et les vainc.
- Pour son neuvième Travail, Héraclès doit, sur caprice de la fille d'Eurysthée, rapporter la ceinture magique d'Hyppolite, la reine des Amazones.
- Antiope, sœur d'Hippolyte, est séduite par Thésée et se laisse ravir par le héros sans trop de résistance. Elle lui donnera même un fils, baptisé Hippolyte lui aussi. Cela en est trop pour l'honneur bafoué des Amazones qui vont faire le siège d'Athènes. Après d'âpres batailles, les femmes guerrières sont finalement vaincues.
- Lors de la guerre de Troie, elles font alliance avec les Troyens, en gage de gratitude envers le bienveillant Priam. La reine Penthésilée parvient à infliger une débâcle retentissante aux troupes grecques sous les remparts troyens, jusqu'à ce qu'Achille lui décoche une flèche fatale. Apercevant le doux visage de son ennemie avant qu'elle ne succombe, le héros s'éprendra pour elle d'un amour désespéré.

 

L'expansion
Malgré toutes ces défaites, les Amazones parviennent à conquérir depuis leur capitale Thémoscyre un vaste territoire s'étendant d'abord jusqu'au fleuve Tanaïs, à la mémoire de leur fondatrice, puis se prolongeant jusqu'en Thrace, en Phrygie et à la Syrie grâce aux reines successives Marpessa, Lampado et Hippolyte (4). Elles fondent un peu partout des cités aussi célèbres qu'Ephèse (5), Smyrne, Cyrène, Opsikion en Lydie (6) ou encore Mytilène, sur l'île de Lesbos (7) - dont la reine Myrina mènera une expédition contre les Atlantes. Vaincues, les guerrières fonderont une nouvelle tribu de femmes en Libye, les Gorgones, tribu décimée par Héraclès.

 

Au-delà du mythe
L'existence de peuples de femmes guerrières est attestée dans l'Antiquité : on retrouvait des femmes au premier plan des troupes syriennes, scythes et cimmériennes que les Grecs combattirent aux confins de la Mer Noire. On retrouve de tels témoignages chez les Romains pour certaines tribus gauloises (les Namnètes de l'île de Sein et les Samnites de l'embouchure de la Loire, entre autres).
D'un point de vue artistique, les Amazones ont toujours suscité l'intérêt, favorisées sans doute à la fois par le fantasme masculin de domination de femmes réputées leurs égales et par celui, féminin, d'une société exclusivement composée de femmes. On en retrouve la trace dès le XIVème siècle avec la Théséide de Boccace ou encore les fameux Contes de Canterbury. On peut encore citer les tableaux de Rubens. Mais c'est surtout le Penthésilée de Heinrich von Kleist qui a popularisé le mythe en 1808. La littérature a souvent été inspirée par le mythe pour dépeindre des personnages féminins épris d'indépendance et de vertus viriles (8).

 

(1) L'actuelle Mer Noire.
(2) Les "sans mamelle" en grec, en référence à leur coutume de se mutiler le sein droit pour faciliter le maniement des armes.
(3) Gouvernée par les femmes, pour les femmes. L'antonyme de "phallocratique".
(4) La même que celle du 9ème Travail d'Héraclès.
(5) Siège du Temple sacré d'Artémis, l'une des 7 Merveilles du Monde.
(6) Dont la reine Omphale parvint à réduire en esclavage le fier Héraclès.
(7) Les habitantes de cette île, les Lesbiennes, passaient pour haïr les hommes. C'est l'explication étymologique d'un nom devenu aujourd'hui commun.
(8) A ce sujet, je vous recommande la lecture du Lys dans la Vallée de Balzac, avec une Amazone en puissance : lady Arabelle.

 

Dossier réalisé par Prométhée (email : promethee -at- web.de)

le Scribe du Sanctuaire